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mardi 24 janvier 2012

T. Sijilmassi : Les grandes associations de microcrédit doivent devenir des sociétés de financement

Le secteur a vécu trois années d'assainissement qui ont permis de ramener le portefeuille à risque à 6% contre 8% auparavant. Concomitamment, l'encours des crédits a baissé de 4% en un an, mais le portefeuille est de meilleure qualité.
Entretien Tarik Sijilmassi FNAM

Comment s’est comporté le secteur du microcrédit en 2011 ?
L’encours global de financement du secteur atteint 4,67 milliards de DH à fin septembre 2011, soit une baisse de 4% par rapport à la date en 2010. Au passage, cela établit à 40 milliards de DH le nombre de prêts octroyés sous forme de microcrédit depuis la naissance du secteur au Maroc. Le nombre de clients actifs recule lui aussi de 10% à près de 796 000 clients. Le portefeuille à risque (PAR) regroupant les créances cumulant des retards de paiement supérieurs à 30 jours atteint 6% contre 8% en 2010.

En somme, moins de financements octroyés mais une qualité de portefeuille qui tend à s’améliorer…
Nous touchons effectivement à la fin de l’effort d’assainissement démarré en 2008. Dans l’intervalle, le PAR a pu baisser grâce, entre autres, à l’introduction de nouvelles règles prudentielles relatives au provisionnement des dossiers à risque, aux campagnes de recouvrement et à une plus grande vigilance des associations de microcrédit (AMC) au risque. Mais, sachant que les best practice mondiaux préconisent un PAR à 4,5%, beaucoup reste à faire au volet risque. Quant au portefeuille de crédits, il a connu une cure d’«amaigrissement» forcée du fait de la lutte engagée contre les endettements croisés qui gonflaient de manière artificielle le nombre de clients actifs, de plus d’un tiers. Avec tout cela, on en arrive à présent à l’idée qu’il n’y a plus de place pour l’amateurisme au niveau du secteur… On sait qu’on ne peut plus faire du microcrédit entre quatre murs avec du mobilier sommaire et des personnes de bonne volonté seulement. Cette activité requiert aujourd’hui des équipements notamment informatiques, de l’investissement et des pré-requis en termes de professionnalisme.

Dans ce contexte d’industrialisation, n’y a-t-il pas un risque que la logique commerciale domine aux dépens de la vocation sociale ?
Il faut en finir avec cette idée reçue : on ne gagne pas d’argent dans le microcrédit et ce ne sera jamais le cas car il n’y a pas de distribution de bénéfices aux actionnaires des AMC. Par ailleurs, l’on ne pourra pas reprocher aux AMC de mener des efforts de recouvrement car, en dépit de leur vocation sociale, elles doivent se faire rembourser leurs créances afin de garantir leur pérennité. Et il est regrettable que des acteurs mal intentionnés, assimilent encore ces prêts à des dons et appellent de plus en plus à ne pas les rembourser.

Pas de vocation commerciale, soit, mais le microcrédit au Maroc reste critiqué pour ses taux d’intérêt très élevés, entre 20 et 22%...
Dit comme ça, il est vrai que ce taux peut choquer. Néanmoins, il n’est que l’addition d’un ensemble de composantes dont le détail est d’ailleurs consultable par le grand public auprès de la FNAM. Le taux pratiqué recouvre d’abord le prix de l’argent soit 6%. Et je précise au passage que l’essentiel des fonds des AMC provient essentiellement de lignes de financement et non pas de dons comme on a tendance à le croire. A cela, il faut ajouter le coût du risque qui est de 3 à 4%. Vient ensuite le coût de gestion regroupant les charges de personnel, le loyer, le mobilier, l’informatique, les charges de prospection… qui s’établit entre 8 et 12% selon les AMC. Certes, c’est nettement plus important que les établissements de financement classiques mais cela s’explique par le fait que ces derniers parviennent à faire gérer des dossiers portant sur des prêts volumineux par un personnel plus réduit. Viennent, enfin, 3 à 4% qui sont réincorporés dans les réserves de l’association pour être conforme avec les règles prudentielles et maintenir un niveau de fonds propres compatibles avec l’activité. Pour fournir plus de détails sur ces éléments, la fédération va publier dans les prochains jours un livre blanc du microcrédit.

N’y a-t-il pas de marge pour faire baisser ce taux d’intérêt ?
Nous explorons des pistes en agissant sur chacune des composantes. Pour le coût de l’argent, le secteur pourrait avoir droit à des formes de financement bonifiées auprès d’institutions publiques, caritatives ainsi que de grandes institutions internationales. Il s’agirait également de faire baisser le coût du risque par la sensibilisation des bénéficiaires. Le coût de gestion pourrait à son tour baisser par la mutualisation des moyens des AMC afin qu’elles puissent se concentrer sur les bénéficiaires et l’effort de prospection. L’on pourrait à ce titre envisager une collaboration locale pour l’aide au recouvrement. Les moyens technologiques figurent également comme levier à exploiter pour réduire les coûts de gestion et cet outil est d’ailleurs fortement présent dans notre Vision 2020 que nous déclinons à compter de ce début d’année.

Quelles sont les articulations de cette vision stratégique ?
Notre Vision 2020 part d’une étude du cabinet Oliver Wyman sur les perspectives du secteur du microcrédit au Maroc. Celle-ci a permis de mettre en place un plan d’action pour parvenir à un ensemble d’objectifs à l’horizon 2020. Le premier est d’arriver à trois millions de clients, ce qui devrait créer deux millions d’emplois supplémentaires. Aussi, nous ciblons un encours de 25 milliards de DH. Ensuite, nous aspirons à la diversification des produits proposés vers la micro-assurance, autant pour les sinistres touchant les projets des bénéficiaires que pour offrir à ces derniers des solutions d’assurance pour particulier (épargne, retraite…). Un autre objectif cible un maillage plus complet du territoire national avec une implantation prioritaire dans les zones de pauvreté et surtout l’espace rural. Des actions sont également envisagées pour permettre une meilleure lecture par les bailleurs de fonds de toute cette politique de développement afin d’assurer le bon accompagnement des besoins du secteur. Pour parvenir à tous les objectifs fixés, nous envisageons d’agir sur 7 chantiers avec des mesures dont certaines déclinées à court et moyen terme telle, par exemple, la mise en place d’une bibliothèque de projets réussis qui seront consultables par tous les bénéficiaires de microcrédit.

Ces derniers mois, 8 petites associations se sont regroupées autour de la fondation Ardi adossée au Crédit Agricole pour créer le Réseau de la Microfinance Solidaire (RMS). Où en est la constitution de cet ensemble ?  
Le RMS est une structure qui, tout en mutualisant les moyens des AMC membres, respecte leur autonomie et leur indépendance d’action. L’effort de mutualisation a d’abord porté sur le développement d’un système d’information commun fin 2011 et qui est actuellement en cours de déploiement. Nous allons le généraliser à toutes les associations dans le courant du premier semestre 2012. Nous mettons également en place un système d’interrogation de la centrale des risques par les AMC membres à travers une plateforme unique. A terme, nous allons également mutualiser une partie de la comptabilité. Nous envisageons enfin de mutualiser également les recouvrements par voie judiciaire. Avec tout cela, le réseau a déjà défini un plan de développement commun. A l’horizon 2015, nous visons un réseau de 400 antennes (contre 320 actuellement), et un encours de 650 millions de DH (contre 305 MDH en 2011).

La constitution du RMS intervient dans le sillage d’un mouvement de concentration du secteur. Ce mouvement est-il aujourd’hui achevé ?
Je pense que oui. Qu’il s’agisse de la Fondation Banque Populaire pour le Microcrédit (FBPMC), d’Al Amana ou de Fondep, les associations aujourd’hui en exercice sont de tailles importantes et ont des stratégies distinctes qui font qu’elles envisagent leur développement différemment. La problématique se pose moins en termes de mouvement de consolidation du secteur que de création de nouvelles associations. Je ne sais pas s’il faut y voir une crise du militantisme mais le rythme de création de nouvelles associations est aujourd’hui trop faible.

Quelles possibilités de développement pour les associations qui ont atteint aujourd’hui une taille très importante ?
Pour ces structures, dont j’exclus le RMS qui demeure une association d’associations, le caractère associatif est nettement dépassé. Dès lors la transformation en sociétés de financement spécialisée paraît incontournable pour les associations de grande taille. Et c’est une possibilité que devraient introduire les modifications apportées à la loi 18-97 relative au microcrédit actuellement en examen au Parlement. La transformation en société de financement spécialisée accompagne le développement des grandes associations car il leur permet de disposer d’un capital social, d’ouvrir leur tour de table à des institutionnels, de bénéficier du cadre réglementaire de la société anonyme, de mettre en place des procédures de gestion plus rigoureuses … Cela étant, il y a unanimité au niveau de la Fnam pour que cette transformation ne soit pas rendue obligatoire afin de permettre aux AMC qui le souhaitent de rester dans le tissu associatif. A terme, pour les spécialistes du microcrédit qui atteindront une taille encore plus importante, même la transformation en banque pourra être envisagée, mais la décision doit revenir à Bank Al-Maghrib seule habilitée en la matière.

Réda Harmak. La Vie éco
http://www.lavieeco.com/

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