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dimanche 15 janvier 2012

Entretien avec Mohammed Belmaachi, directeur général délégué de JAIDA

Le secteur du microcrédit au Maroc a connu une croissance considérable durant la dernière décennie. Explications.

LE MATIN : Qui est Jaida ?
Mohammed Belmaachi :
Le fonds JAIDA est une société de financement créée en 2007 par un groupe de quatre actionnaires de référence internationale, très engagés dans l'action sociale et le développement durable : CDG, KFW, CDC et AFD. En 2010, elles ont été rejointes par Poste Maroc. Le fonds JAIDA a pour mission de lutter contre l'exclusion financière et de promouvoir le développement des micros et petites entreprises créatrices d'emploi, nous finançons actuellement plus de 100 mille micro-entrepreneurs. Le fonds JAIDA remplit cette mission en apportant les concours financiers et techniques aux institutions de microfinance marocaines. Je voudrais aussi souligner le fait que la création de JAIDA, fonds dédié au financement des institutions de microfinance locale a constitué une singularité dans l'industrie mondiale de la microfinance. Très rares sont les pays disposant d'un véhicule de financement dédié exclusivement au financement de leur activité de microfinance.

On a assisté cette dernière décennie à une expansion fulgurante de deux chiffres du microcrédit au Maroc, preuve en est que cet outil correspondait bien aux attentes et besoins d'un segment de population. Un mot sur cette période de grâce durant laquelle, à en croire les témoignages, 96% de femmes disent que le microcrédit a eu un impact positif sur leur qualité de vie ?

Le secteur du microcrédit au Maroc a effectivement connu une croissance considérable durant la dernière décennie. Les 12 institutions de microfinance marocaines actives ont pu en quelques années toucher plus de 1 million de bénéficiaires avec un encours financier global qui s'est établi à plus de 5 milliards de dirhams.
Ce franc succès rencontré par l'activité de microfinance au Maroc est le résultat d'une part de l'entrée en vigueur en 1999 de la loi 18-97, relative au microcrédit, qui a permis d'établir un cadre légal précurseur de l'activité de microcrédit au Maroc, et d'autre part, du dépassement de l'obstacle de l'exclusion financière; la microfinance est venue répondre à une attente forte d'une population qui a pu accéder au financement et développer des activités génératrices de revenus. Quant à la réponse sur l'impact positif du microcrédit sur la qualité de vie des bénéficiaires, les différentes enquêtes et études réalisées par le fonds JAIDA ainsi que nos différentes visites aux bénéficiaires, ont montré que le microcrédit a rendu autonome des centaines de milliers de bénéficiaires qui ont pu au travers de leurs activités subvenir aux besoins de leur famille, rembourser leur microcrédit, épargner et voire même dans de nombreux cas développer leur petite entreprise et créer des emplois.
Il est important de préciser par ailleurs que les enquêtes JAIDA ont toutes fait ressortir un taux élevé de satisfaction des bénéficiaires (90%) quant à la disponibilité du service de microcrédit.

En temps de crise, quel est l'apport, l'impact du microcrédit ?
En temps de crise, comme toute activité, les micros et petites entreprises subissent une baisse de leurs revenus et nous constatons également une hausse des impayés, avec toutefois un accompagnement particulier réalisé de la part des institutions de microfinance au profit des bénéficiaires. En revanche, il est important de souligner que le microcrédit, en temps de crise, permet de stabiliser les emplois. In fine, les institutions de microfinance marocaines sont sorties plus solides de cette crise.

Les premiers signes de crise sont apparus en 2008, que s'est-il passé ?
Je qualifierai cette crise par une «crise de croissance». Le microcrédit au Maroc a rencontré un franc succès dès son lancement suivi en 2006 d'une offre de financement importante destinée aux institutions de microfinance qui a conduit à une commercialisation à outrance. Ladite commercialisation a favorisé l'endettement des bénéficiaires auprès de plusieurs institutions et était à l'origine de la montée des créances en souffrance. Cependant, cette correction était salutaire pour l'activité puisqu'elle a permis une consolidation des institutions et une prise de conscience du risque inhérent à l'activité microcrédit.

Quelle a été la réaction des pouvoirs publics ?
Les pouvoirs publics encadrent fortement le secteur ce qui leur a permis d'identifier rapidement les signes de correction et réagir à travers la fusion de Zakoura avec la FBPMC et la promulgation de nouvelles circulaires concernant les règles de provisionnement, le contrôle interne, la gouvernance, le risque crédit, etc. Les pouvoirs publics ont aussi fortement contribué au développement de lignes de financement thématiques et à la constitution de fonds dédiés à l'assistance technique.

La réaction de JAIDA pour amortir l'impact de la crise ?
Durant cette période pendant laquelle les sources de financements ont été réduites de manière drastique, le fonds JAIDA a poursuivi la mobilisation des capitaux nécessaires pour le financement des institutions de microfinance marocaines en couvrant plus du tiers du besoin de financement du secteur, ce qui a permis d'amortir l'impact de la crise. Nous avons aussi fait évoluer nos missions pour faire face à cette crise par la réalisation d'enquêtes et études pour mieux comprendre les racines de cette crise et par le développement d'un nouveau service d'assistance technique permettant de renforcer les capacités des institutions de microfinance marocaines.

Les résultats de la troisième édition de l'enquête sectorielle JAIDA ont été présentés, et on a pu entendre au cours de cette rencontre, qui a réuni les représentants des différentes associations, un certain nombre de critiques relatives notamment au taux d'intérêt, aux délais de remboursement, au délai de grâce et même au laxisme des agents de crédit ?
L'enquête a révélé aussi d'autres côtés qui montrent tout l'intérêt qu'il faut porter au microcrédit. L'enquête a révélé par exemple des résultats très intéressants sur l'utilité du microcrédit : 96% des femmes et 81% des hommes interviewés ont affirmé que le microcrédit a amélioré leur qualité de vie; 76% des bénéficiaires sont satisfaits des conditions de prêt; 76% des bénéficiaires font de l'épargne dont 40% disposent d'un compte d'épargne; 91% des bénéficiaires affirment que leur activité génère une rentabilité satisfaisante. Ces résultats mettent en exergue que le microcrédit au Maroc est un outil de développement de la micro et petite entreprise avec un impact positif sur la qualité de vie. A côté de cela, il est vrai que l'enquête a aussi révélé quelques critiques dont les principales concernent un taux d'intérêt élevé (12% des interviewés) des délais de remboursement inadaptés à l'activité et une forte baisse dans les missions d'appui et d'accompagnement des bénéficiaires de la part des institutions de microfinance.

En focalisant du reste sur les problèmes et logiques de lucrativité marchande, de redistribution publique et de solidarité pour parvenir à une inclusion financière répondant davantage et mieux aux besoins diversifiés du plus grand nombre. Un premier commentaire sur ces différents niveaux d'articulation ?
Le microcrédit est à mon avis l'un des outils les plus pertinents pour favoriser l'inclusion financière. La maturité de l'activité et la transformation des institutions en banque commerciale ont pu générer dans certains pays quelques dérives par une commercialisation à outrance. Cependant, force est de constater que la dimension sociale de la microfinance et la volonté de promouvoir l'inclusion financière ont toujours été présentes.

Vous avez présenté une étude sur les performances sociales, outil déployé auprès de plus de 300 associations pour les aider à améliorer leurs performances sociales. Quels sont les atouts d'un tel outil ?
Le fonds JAIDA souhaite élaborer avec ses partenaires, les associations de microcrédit marocaines, un programme de gestion des performances sociales dont l'objectif étant de renforcer la dimension sociale du microcrédit. A travers ce programme, des standards universels de performances sociales seront définis afin de permettre à la microfinance marocaine de continuer de se reposer solidement sur les principes de base qui ont construit le secteur et fondé sa notoriété : proximité, inclusion, protection des clients, adaptation d'une gamme de produits et services. Pour développer ce programme, nous avons effectivement choisi un outil qui est actuellement déployé au sein de plus de 300 institutions de microfinance; ce qui nous permettra de disposer d'un benchmark puissant dans le cadre de l'évaluation de nos avancées dans ce domaine.

L'avenir du microcrédit au Maroc ?
Nous avons la chance de disposer d'institutions qui en quelques années ont pu établir un réseau d'agences très capillaire de plusieurs centaines d'agences et développer une expertise prouvée dans le financement de la micro et petite entreprise.
Cet outil est une opportunité pour notre pays et facilitera, sans aucun doute, le financement de la TPE, forte créatrice d'emploi qui ne trouve pas d'offre auprès du secteur financier. Le microcrédit au Maroc poursuivra sa mission de financement de la microentreprise tout en adressant la TPE avec des mécanismes similaires à ceux pratiqués pour la microentreprise. Il me semble aussi nécessaire de revoir le cadre juridique des institutions marocaines pour leur permettre de poursuivre leur mission dans de bonnes conditions, améliorer leur gouvernance, développer leur expertise et renforcer leurs fonds propres.

L'avenir de JAIDA ?
Le fonds JAIDA a pu en quelques années remplir sa mission en finançant aussi bien les grandes institutions que les institutions de taille intermédiaire qui n'ont pas un accès aisé à la ressource financière.
JAIDA, à la différence des autres fonds commerciaux de microfinance, adapte ses critères et investit considérablement en assistance technique pour accompagner les besoins des institutions de microfinance.
Nous ferons évoluer nos missions pour accompagner la maturité du secteur par le développement au sein de JAIDA dès cette année d'une activité dédiée à l'assistance technique et par le développement de fonds thématiques permettant de cibler certaines activités à l'instar du fonds rural que nous avons lancé en 2010.
Compte tenu aussi des sollicitations fortes pour le partage de notre expertise dans la région MENA et Afrique subsaharienne, nous sommes en réflexion sur la possibilité d'intervenir dans ses deux régions et apporter notre expertise et savoir-faire.
Le Matin 15/01/2012

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