Pages

mercredi 23 novembre 2011

A Lahraouine au Maroc, l’éducation non formelle fait école


L’incurie du système éducatif est considérée comme le premier des fléaux marocains.
École à Marrakech. Chaque année, un million de Marocains âgés de 6 à 16 ans qu...



(ABDELHAK SENNA/AFP)


École à Marrakech. Chaque année, un million de Marocains âgés de 6 à 16 ans quittent le système scolaire.
Le concept d’éducation non formelle, développé par la Fondation Zakoura, permet d’acquérir en trois ans l’enseignement de l’école primaire.
Environ 22 000 enfants et adolescents non scolarisés ou déscolarisés ont ainsi pu réintégrer le système.
Lahraouine, immense quartier d’habitat sauvage aux confins du grand Casablanca. Au milieu de bidonvilles en parpaings, de ruelles chaotiques où errent, en quête de détritus, des moutons faméliques, l’école primaire publique Abdeljalil-Benhida, moitié en dur, moitié en préfabriqué, est une petite enclave d’espoir.
Fatima Tah, la directrice, œuvre en missionnaire depuis dix ans. « Je fais maintenant partie du quartier. »  Elle se promène dans les rues en bienfaitrice, accepte volontiers de le faire connaître. « Mieux vaut être accompagné, les habitants pourraient ne pas comprendre la présence d’un étranger »,  confesse-t-elle.
C’était sans compter avec l’irruption d’un représentant des autorités locales venu mettre son veto à la visite, pour « raisons de sécurité »,  mais peut-être aussi parce que le Maroc ne souhaite pas montrer l’envers du décor d’une société dynamique, qui affiche son entregent sur la scène internationale, ouvre son pays aux investisseurs, mais laisse encore sur le bas-côté une grande partie de sa population.
Fatima Tah connaît trop l’immense dénuement des habitants de Lahraouine. C’est pourquoi elle a accepté l’ouverture d’une école au sein de son école. Depuis la rentrée scolaire, la Fondation Zakoura-éducation s’est installée dans ces murs, pour dispenser son programme d’éducation non formelle, destiné aux enfants non scolarisés ou déscolarisés.

96 % DE RÉUSSITE À L’EXAMEN D’ENTRÉE AU COLLÈGE

Fatima Tah a elle-même fait du porte-à-porte dans le quartier pour persuader les familles d’envoyer leurs enfants dans cette école pas comme les autres, dont le modèle vient du Bangladesh. Dans la classe Zakoura, Abdelhak Achamlal, l’animateur, fait face à une trentaine d’élèves âgés de 8 à 16 ans. À 14 ans, Pitchoun Omari avait quelque temps fréquenté l’école coranique mais n’avait jamais été scolarisée jusqu’à ce que la Fondation Zakoura frappe à sa porte. « Pour les filles, il faut convaincre les parents de les laisser prendre le chemin de l’école »,  précise Abdelhak Achamlal.
Dix des trente élèves de la classe n’ont jamais connu l’école. Les autres ont été scolarisés un, deux, trois ou quatre ans avant d’abandonner. Les yeux de Karam Ragae, 13 ans, s’embuent de larmes à remuer les mauvais souvenirs, entre un maître tyrannique à l’école publique un temps fréquentée, puis le retour à la maison où il fallait aider son père, petite main au marché aux légumes, ne rapportant pas assez pour vivre.
Le bouche-à-oreille bat son plein, les enfants se passent le mot pour aller à l’école. « Ils sont hypermotivés, ils veulent être des enfants comme les autres »,  souligne Abdelhak Achamlal. Et lui veille de près. « Si l’un ou l’autre manque les cours, je vais chez lui voir ce qui se passe »,  souligne-t-il.
Il se donne pour objectif que ses 30 élèves, analphabètes ou non, réussissent en trois ans le programme des six années de l’école primaire pour poursuivre au collège ou, pour les plus âgés, dans une formation professionnelle. La fondation affiche des résultats enviables avec un taux de réussite de plus de 96 % à l’examen d’entrée au collège de ses élèves.

« LES PARENTS CHOISISSENT LES HORAIRES POUR ÉVITER L’ABSENTÉISME »

La recette ? Une adaptation aux contraintes locales. L’enseignant recruté localement parle le tamazight dans les régions berbérophones. De plus,« ce sont les parents qui choisissent les plages horaires pour éviter l’absentéisme, car les enfants sont une force de travail d’appoint pour les familles »,  explique Youssef Mouaddib, directeur de la fondation. Pour rattraper le temps perdu, les cours ont lieu trois heures par jour, six jours par semaine, onze mois par an.
À l’école Abdeljalil-Benhida, une autre classe accueille les mères venues suivre des cours d’alphabétisation. « Une femme éduquée est mieux respectée par son mari, c’est une arme contre la maltraitance »,  affirme, enthousiaste, Noureddine Ayouch, le « roi de la pub »  au Maroc – à la tête de l’agence Shem’s publicité –, trublion de la société marocaine et créateur de la Fondation Zakoura en 1995.
Noureddine Ayouch s’était lancé d’abord dans le microcrédit. Lui qui vient d’une grande famille découvre à l’époque cet autre Maroc de villages à 100 % analphabètes. « Une honte ! »  s’indigne-t-il. Il lance alors Zakoura éducation, qu’il ne cesse de décliner à tous les publics marocains en mal d’éducation (1), les enfants et adolescents, leurs mères, les élèves de l’école publique en difficulté, et maintenant des classes de maternelle pour mettre les petits sur les bons rails de la scolarisation.
 « Un million d’enfants de 4 à 6 ans ne sont pas préscolarisés, une partie d’entre eux ne prendra jamais le chemin de l’école. Tous les enfants préscolarisés par Zakoura continuent à l’école publique »,  explique Youssef Mouaddib, conscient cependant que la fondation ne compense que très marginalement les ratés de l’école publique marocaine.
----------------------------------------------------

UN PEU PLUS DE LA MOITIÉ DES MAROCAINS EST ALPHABÉTISÉE

D’après le rapport 2011 du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur le développement humain, le Maroc est classé à la 130e  place sur 184 pays, loin derrière ses voisins maghrébins (l’Algérie est 96e , la Tunisie 94e  et la Libye 64e ).
La durée moyenne de scolarisation est de 4,4 ans contre une durée attendue de 10,3 ans. Le taux d’alphabétisation des plus de 15 ans est de 56 %.
D’après l’initiative marocaine de développement humain (INDH), programme de lutte contre la pauvreté et l’exclusion lancé en 2005, le taux d’alphabétisation des 15-24 ans a atteint 80 %. D’après la Fondation Zakoura pour l’éducation, un million d’enfants de 4 à 6 ans ne sont pas préscolarisés, tout comme un million des 6-16 ans ne sont pas scolarisés (sur une population marocaine de 32 millions). Chaque année, 250 000 enfants quittent l’école primaire et 200 000 adolescents le collège.
La Fondation Zakoura a créé 392 écoles d’éducation non formelle dans lesquelles elle a scolarisé 22 000 enfants de 8 à 16 ans. Elle a de plus alphabétisé 80 000 adultes.

(1) L’élite, francophone, est formée dans le système français alors que l’école publique a été arabisée, un clivage linguistique qui accentue la fracture sociale marocaine, d’autant plus que l’enseignement supérieur est resté largement francophone.
MARIE VERDIER, à CASABLANCA @ la-croix.com 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire