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lundi 11 juin 2012

Finance islamique : Le Maroc peut s'inspirer des banques bahreïnies


Abdelmajid Benjelloun1

L’application effective du système bancaire islamique au Maroc est prévue pour la fin de l’année 2012. La loi bancaire actuelle ne permet pas d’appliquer les principes de la finance islamique ; ainsi elle sera amendée et une nouvelle loi bancaire plus adaptée verra le jour.
A moins que l’épargne publique ou privée ne provienne d’une autre banque islamique, il faut s’assurer qu’elle n’est pas alimentée par des activités illicites.
Tous les produits islamiques qui seront mis en place au Maroc devront respecter les principes de la charia.
Abdelmajid Benjelloun, ancien Directeur général de la Banque islamique de Guinée, nous renseigne sur les dessous de la finance islamique.
- Finances news hebdo : Une loi relative à la finance islamique verra prochainement le jour. En tant que spécialiste, quels sont à votre avis  les mécanismes qui devront être mis en place par les pouvoirs publics pour que la finance islamique s’adapte à la réalité marocaine ?
- Abdelmajid Benjelloun : Il est prévu en effet que la loi bancaire du Maroc soit amendée, ceci de préférence,  à mon avis, pour la mise en place d'une loi adaptée traitant  exclusivement des produits bancaires islamiques.  Une loi à même de tenir compte des spécificités des produits d'épargne et de financements islamiques sachant qu'il ne peut y avoir dans un même pays deux lois bancaires distinctes. De même que les produits  islamiques d'épargne et de crédits  qui seront mis en place au Maroc par rapport à ceux qui sont opérationnels dans d'autres pays, qu’ils soient musulmans, non musulmans  ou laïques, ne devront pas être différents sur le plan de leur objet et de leur fond.
L’ensemble des produits islamiques qui seront mis en place au Maroc, comme ailleurs, devront respecter les principes de la charia  pour répondre réellement aux besoins et aux attentes spécifiques de la clientèle potentielle concernée et/ou intéressée, constituée essentiellement  de croyants musulmans et, dans une faible mesure, de non musulmans ou laïques surtout étrangers.
- F. N. H. : Plusieurs pays nous devancent en la matière et disposent aujourd’hui d’une vraie finance islamique. Quel est le modèle qui vous paraît le plus plausible et duquel pourrait s’inspirer le Maroc ?
- A. B. : Le meilleur modèle, sur tous les plans est,  à mon avis, celui  qui a inspiré  les pays du Golfe et notamment les banques de Bahreïn et de Dubaï. Toujours dans la région MENA, on peut citer celui de la «SID», Société Islamique de Développement du secteur privé qui est une filiale de la  Banque Islamique du Développement, «BID» à Djedda, en Arabie Saoudite, qui est pour sa part un des  bailleurs de fonds  importants de notre pays, notamment en matière d'infrastructures et dont le Maroc, ne l'oublions pas, est membre fondateur. La BID étant la maison mère de la Banque islamique de la Guinée Conakry que j'ai été amené à restructurer sur tous les plans.
- F. N. H. : Pour bon nombre de citoyens  l'origine de  l'épargne pose problème sachant que sa collecte se fait  surtout  à l'international. Comment peut-on s'assurer que la provenance des fonds octroyés ou  collectés est licite ?
- A. B. : À ma connaissance, la charia autorise que le capital de la banque islamique à constituer ou à augmenter ne soit pas soumis à restriction, ou exclu en matière d'apport en capital,  si son origine n'est pas identifiable ou ne peut être déterminée. Cela à l'inverse de l'épargne publique et/ou privée devant être collectée, qui,  à moins qu'elle ne provienne d'une autre banque islamique, doit obligatoirement permettre de s'assurer à l'avance qu'elle ne provient pas d'activités formellement déclarées illicites par la Charia. Ce rôle est joué essentiellement par les Conseils de surveillance de chaque banque islamique où siègent,  en tant qu’administrateurs, un ou deux Oulémas spécialisés en la matière.
- F. N. H. : Quelles sont les différentes difficultés auxquelles pourrait se heurter le Maroc, dans un premier temps, une fois la finance islamique adoptée ?
- A. B. : Il ne faut pas attendre l'adoption de l'amendement de la loi bancaire prévue avant fin 2012 pour entrevoir des difficultés quelconques pouvant éventuellement se présenter et qui ne sont, pour la plupart, que  des appréhensions non fondées.
Le démarrage du système bancaire islamique dans notre pays doit être suffisamment bien préparé à l'avance, et ce le plus rapidement possible tant sur le plan de la formation  spécialisée des cadres bancaires,  qui devront  assurer son lancement, que de celui  de l'information du grand public dans notre pays.
- F. N. H. : Dans le même sillage, dans certains pays du Maghreb, on assiste à une forte demande de formations en finance islamique à distance. Ne pensez-vous qu’il est de l’intérêt du Maroc d’adopter cette initiative pour la concrétisation de l’essor tellement attendu de la finance islamique ?
- A. B. : Pourquoi pas ?  À mon avis, le  plus  urgent et le plus important est d'accélérer  la formation des cadres spécialisés en la matière  et  d'utiliser très largement les divers médias pour informer le grand public de l’existence de ces produits innovants et attendus qui répondent à des besoins que les produits conventionnels ne peuvent satisfaire, tout en respectant  la charia,  ceci :
• par la formation rapide des cadres dirigeants spécialisés en épargne et finance islamiques ;
• ensuite par la communication interne et externe sur les produits islamiques et plus précisément sur ceux qui sont différents ou innovants par rapport aux  produits conventionnels ;
• enfin, par une politique d'accompagnement volontariste de vulgarisation à travers les divers médias et des séminaires de formation et d'information  qui devront être organisés conjointement et ou séparément par  Bank Al-Maghrib, le GPBM et les banques.
En effet, les banques  conventionnelles marocaines ont grand besoin de ces dispositions pour augmenter leurs liquidités, notamment  par la domiciliation des avoirs et fonds privés et ou souverains des pays du Golfe et pour booster davantage la bancarisation du pays et sa réindustrialisation.  Ces liquidités vont également permettre de financer plus aisément les PME, en vue de répondre  progressivement  et le plus rapidement possible à la problématique de l'emploi des jeunes, défi majeur à relever par le Maroc.
- F. N. H. : Les produits islamiques restent relativement chers par rapport à ceux conventionnels. Pourquoi à votre avis ?
- A. B. : La superposition de taxes (TVA) et de droits d'enregistrement successifs, tant en aval qu'en amont, renchérissait auparavant  les coûts des financement  dits alternatifs, ceci avant que la Loi de Finances les ait alignés sur les dispositions fiscales appliquées aux produits conventionnels. Ce n'est en principe plus le cas  actuellement, à moins qu’il n’existe une volonté manifeste de s'approprier, pour des raisons purement mercantiles, des marges plus confortables qui auraient été constatées  chez quelques banques  encore réticentes et qui auraient pour effet de rendre les produits de financement islamiques non concurrentiels.  Cela ne serait pas civique de leur part.
- F. N. H. : Pourquoi certaines banques marocaines en majorité à capital étranger, du reste peu nombreuses, seraient plus réticentes à la promotion des financements alternatifs et ce  particulièrement  depuis 2011 où il a été observé  un fléchissement des encours de ces financements par rapport à 2010. D'autant plus que BAM les a limités dans un premier temps  à 3 produits seulement.
- A. B. : Normalement, les banques marocaines à capital majoritairement étranger installées dans notre pays devaient s'aligner sur leurs maisons mères, notamment de France, et qui ont  pour la plupart  pris  les devants en créant depuis plus d'une décennie, voire deux dans d'autres pays occidentaux, des guichets à vocation islamique collectant à la fois de l'épargne islamique substantielle (notamment des  avoirs et fonds islamiques privés et ou souverains en pétrodollars en provenance des Pays du Golfe).  Elles distribuent parallèlement  des financements islamiques dits  alternatifs sous différentes formes, car il ne peut exister de financements islamiques sans épargne islamique.
Ceci étant, il n'est jamais trop tard pour que toutes les banques marocaines à capital majoritairement étranger et ou marocain   sans  aucune  exception, rattrapent rapidement leur retard  en la matière, maintenant qu’elles ont plus de visibilité. Car il y va  de leur position dans le système bancaire marocain dans les années à venir, d'autant plus que la  plupart des banques qui le composent commencent à connaître un resserrement relatif en matière de liquidités qui pourrait freiner, en particulier, le financement  des PME créatrices d'emplois.
- F. N. H. : Quelles seraient à votre avis les structures  à mettre en place,   au plan stratégique, pour une implantation  efficace du système de la banque islamique au Maroc ?
- A. B. : D’après mon expérience, j'opterais pour la filialisation des  activités de la banque  islamique, pour toutes  les banques conventionnelles existantes ou devant s'installer, sans aucune exception. Ceci de préférence par la création de simples guichets ou agences à vocation  islamique collectant à la fois de l'épargne et distribuant parallèlement des financements islamiques afin d'éviter tout doute et toute ambiguïté.  Quant à l'origine purement islamique de l'épargne devant nourrir ces financements, il faut éviter tout amalgame en la matière  qui pourrait se produire bloquant  voire décourageant le développement rapide des produits innovants respectant la Charia et destinés à satisfaire des besoins spécifiques que les produits de financement conventionnels ne peuvent faire, et ce au profit d'une large partie non bancarisée de notre population formée en quasi-totalité de Musulmans.
J’opterais également,  et ce sans tergiverser davantage sur le sujet, à autoriser  l'installation rapide  de banques islamiques  indépendantes des banques conventionnelles  déjà installées. C’est à cette condition que ces dernières domicilieront leurs avoirs  substantiels en pétrodollards et pourront ainsi  financer plus aisément le développement économique et social, l'équipement en  infrastructures tout en répondant également aux attentes  religieuses de la population.

Propos recueillis par S. Es-siari @ financenews

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