Pages

mercredi 27 juin 2012

Finance islamique : «Il n’est pas indiqué pour le Maroc de reproduire l’expérience d’un autre pays»


Youssef El Hazzouani
Consultant et auteur du livre : «Finance islamique,
fondements, mécanismes et apports»

Les Échos quotidien : Quels sont les enseignements que le Maroc doit tirer des expériences des pays ayant réussi le défi de la finance islamique, tels la Malaisie ?
Youssef El Hazzouani : 
L’introduction de la finance islamique a toujours obéi à des considérations locales et nationales des espaces géographiques et économiques en question. Cela a conféré à la finance islamique un caractère local, national et pluriel. Son évolution est caractérisée, à ce jour, par son incapacité à émerger sur le plan de la finance supranationale. De ce fait, il n’est pas indiqué au Maroc de reproduire une expérience d’un autre pays, puisque son système financier islamique obéit à la logique propre à son espace économique et cultuel d’origine. Pour certains pays, tels la Malaisie, les mobiles qui les ont conduits à accueillir cette finance ne sont pas forcément religieux. Ce sont surtout des considérations politiques qui ont poussé les autorités à utiliser les apports financiers de la finance islamique, pour soutenir la communauté musulmane dans le processus de développement du pays, largement dominé par la communauté chinoise. D’ailleurs, certaines études de marché menées par ce pays ont montré que les citoyens malais sont peu sensibles aux référents religieux dans le choix de leurs banques. La recherche d’un financement moins onéreux et plus accessible reste le mobile principal.
Quid des pays du Golfe ?Pour les pays du Golfe, leurs économies ont été dominées par les pétrodollars. Leurs systèmes financiers n’intègrent pas toutes les données d’une économie diversifiée et ouverte. D’une façon générale, la finance islamique a évolué jusqu’à présent dans des espaces qui ont des traditions anglo-saxonnes. Au vu de ces éléments, je ne peux qu’encourager la Maroc à engager une réflexion profonde, en s’appuyant sur son expertise nationale (Fiqh et finance) pour créer un cadre institutionnel, juridique, réglementaire et financier, à même de donner à la finance islamique une dimension opérationnelle et supranationale. Le Maroc comme l’Égypte sont les principaux laboratoires de recherche futurs pour la finance islamique. Je ne néglige pas les performances de la finance islamique dans les espaces que vous avez cités, mais je demeure convaincu que ces expériences restent limitées et ne doivent pas être présentées comme des modèles à présenter aux autres pays tel que le Maroc. Toutefois, nous devons œuvrer pour tirer profit des liquidités des pays amis pour financer notre croissance, qui nécessite d’énormes capitaux.
Peut-on dire que Dar Assafa, la filiale 100% d’Attijariwafa bank, qui commercialise des produits alternatifs, n’offre que des produits conventionnels islamisés ?Dar Assaffa a commercialisé des produits islamiques dans un cadre restreint. Ce sont surtout des produits destinés aux particuliers ou ayant un caractère plutôt commercial. Seul le produit Mourabaha peut mettre en évidence le caractère islamique de cette gamme, puisqu’il intègre le principe de partage des risques et des résultats, qui est l’apport essentiel de la finance slamique. Effectivement, les autres produits commercialisés peuvent induire en erreur certains clients, qui estiment que le taux de marge est équivalent au taux d’intérêt. Le particulier qui achète une voiture ou un logement ne peut pas faire la distinction entre les apports de la finance islamique et les contraintes de la finance conventionnelle en se limitant à la simple comparaison du coût.
Quelle est, alors, la différence entre la finance islamique et la finance conventionnelle ?La différence entre la FI et la FC peut paraître nette quand il s’agit de financer des activités qui peuvent générer une création de richesse (valeur ajoutée) et un résultat financier (gain ou perte). Le bailleur de fonds de la FI assume les pertes (cas de déficit), tandis que le bailleur de fonds de la FC continue à réclamer en sus du principal tous les intérêts normaux et de retards. L’investisseur sera confronté aux difficultés de remboursement, alors qu’il est censé ne pas disposer de fonds, c’est ce qui a justifié son recours à un bailleur de fonds. C’est un simple cas de figure, pour mettre en évidence certains apports de la finance islamique. Dar Assaffa ne commercialise pas un produit islamisé, mais ne peut ignorer les éléments de son environnement financier pour apprécier ses performances. À terme, elle sera en mesure de comparer ses performances à celles des autres banques islamiques de la place.
Est-ce qu’elle verra son modèle économique changé, une fois la nouvelle loi bancaire entrée en vigueur ?Par rapport à l’impact d’une nouvelle loi, je ne peux pas dire que Dar Assafa sera contrainte de changer les procédures liées aux produits qu’elle propose actuellement à sa clientèle. Cependant, le système de contrôle et de gestion de l’institution doit s’adapter aux normes de régulation qui seront imposés par la nouvelle loi.
Quel est l’impact de l’introduction de la finance islamique sur le marché bancaire conventionnel? Comment les banques de détail peuvent-elles sauvegarder leurs parts de marché ?La finance islamique est une jeune industrie. Elle a intérêt à cohabiter avec la finance conventionnelle, pour mieux planifier sa croissance et orienter ses innovations pour gagner le challenge qui lui est imposé par la FC et confirmer son statut de finance alternative. Certes, l’introduction des banques islamiques de détail peut gêner la banque conventionnelle, mais les perturbations pouvant être engendrées ne peuvent être que passagères. Le référent religieux ne doit pas être l’unique mobile de la clientèle d’une banque. La recherche d’une rentabilité meilleure a toujours guidé les déposants et les investisseurs. Il appartient à la FI de prouver qu’elle est en mesure de satisfaire aussi bien les déposants que les investisseurs. Que le meilleur gagne, mais dans un cadre rationnel, tout en œuvrant pour le bien-être collectif et l’efficience de l’économie globale.

Principales interdictions
La Chari'a édicte, à peine de nullité, des interdictions qui sont notamment les suivantes :
• L’intérêt («riba»).
• L’incertitude («gharar») : l’objet, le prix, l’identité des parties et les délais d’exécution doivent être définis au jour de la conclusion du contrat.
• La spéculation («maïsir») : l’accès au marché des produits dérivés est interdit aux investisseurs islamiques.
• L’enrichissement injuste ou l’exploitation déloyale. Toute transaction, tout investissement doit prévoir un partage des pertes et des profits selon une clé de répartition convenue à l’avance.
• Produits «haram» ou activités illicites, telles que le commerce
de l’alcool, l’armement ou les jeux de hasard.
• La thésaurisation : la Chari'a la déconseille, voire la condamne.
@lesechos.ma

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire