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jeudi 22 mars 2012

Tunisie : La micro finance indûment pénalisée !

La micro finance a de plus en plus les allures d’un levier de développement alors que la Tunisie aborde une nouvelle étape de son processus politique et économique, commandant aux institutions de micro finance d’être plus attentives à l’égard des particuliers et des communautés qui sollicitent ses concours. A ces propos, Africanmanager a contacté Michael p. Cracknell, co-fondateur de l’association Enda pour des éclaircissements sur le marché de la micro-finance en Tunisie, son rôle et ses défis.
La nouvelle législation en place pénalise le développement de la micro finance en Tunisie, car elle interdit aux institutions de micro-finance de proposer directement leurs services. Par conséquent, elles doivent, justement, être organisées à travers des structures classiques. En effet, l’épargne, la micro-assurance, le paiement par téléphone et les transferts d’argent sont des services dont les pauvres ont besoin comme tout le monde. Mais chaque service doit être adapté aux particularités de la « micro », ce qui n’est pas facilement accessible auprès des banques ou des compagnies d’assurances. De même, « l’expérience très répandue de par le monde démontre que pouvoir épargner dans des conditions adaptées est souvent plus important pour les pauvres que d’avoir accès au crédit », a indiqué Cracknell. La micro-épargne est un service essentiel pour une institution de micro-finance. Quant à la micro-assurance, les grandes compagnies n’ont pas l’habitude de traiter avec des clients aussi « petits » et donc ne connaissent pas ce marché très spécifique. L’accès des populations à faibles revenus à tous les services financiers améliore ainsi les taux de bancarisation dans le pays.
Le marché de la micro-finance en Tunisie a été estimé, par une étude réalisée, en 2010, par l’Union européenne à 1 million de micro-entrepreneurs exclus du système financier classique et « il y a sans doute le double quand on y ajoute les petits salariés n’ayant pas accès aux crédits bancaires (en raison de l’absence de garanties) », a-t-il fait remarquer.
Le secteur est actuellement dominé par deux sources, à savoir, un programme gouvernemental fortement subventionné autour de la Banque tunisienne de solidarité (BTS) et Enda inter-arabe. Enda est l’unique institution appliquant les « bonnes pratiques » de la micro-finance, et est auto-suffisante (pérenne), depuis 2003, selon son co-fondateur. Cependant, une nouvelle loi sur la micro-finance a été adoptée et plusieurs IMF françaises ont déjà exprimé leur intérêt pour s’installer en Tunisie.
Quant aux chiffres, Enda sert actuellement un peu plus de 200 000 clients actifs à partir de 65 agences. Son portefeuille est estimé à 110 millions DT (environ 55 millions d’euros). L’association emploie environ 1 000 personnes, dont plus de 80% des jeunes diplômés. En cumul, depuis 1995, la société a accordé environ 1 million de microcrédits pour une valeur cumulative de 650 millions DT à environ 350 000 micro-entrepreneurs. Les taux de remboursement étaient aux alentours de 99% jusqu’à la Révolution de janvier 2011 qui a perturbé les activités de l’association.
Il existe déjà, en Tunisie, des associations de développement liées à la BTS qui sont au nombre de 288. Mais, selon Michael p. Cracknell, aucune n’est pérenne. « Au contraire, elles n’ont pas appliqué les bonnes pratiques et elles sont fortement subventionnées », a t-il expliqué. Cependant, notre interviewé a indiqué que ce n’est pas le nombre d’associations qui compte, mais leur professionnalisme et leur capacité à proposer des services efficaces et de couvrir leurs coûts.
Enda n’a pas coûté un millime au gouvernement
Au sujet de la place de la micro finance en Tunisie, le cofondateur d’Enda a indiqué que l’utilisation de ce mécanisme est un impératif. Car, si « l’argent ne fait pas le bonheur », il est singulièrement difficile de s’affranchir de la pauvreté en l’absence d’un accès à des sources de financement », a-t-il confirmé. Le gros avantage de ce secteur, selon Cracknell, est quand il est mené selon les « bonnes pratiques », est qu’il donne accès aux pauvres aux services financiers sans coût pour l’Etat et pour le contribuable. Ceci est spécialement important par ces temps d’austérité. L’approche charitable à la pauvreté, ce n’est pas une solution durable. Mais bien plus, une institution de micro-finance pérenne et entièrement financée par les pauvres eux-mêmes. Selon lui, contrairement à d’autres fournisseurs de micro-crédits, Enda n’a pas coûté un millime au gouvernement tunisien. « Quand on sait que les grandes banques qui sont à l’origine la crise financière et économique actuelle, les sociétés pétrolières, les constructeurs d’avions, reçoivent des centaines de milliards de dollars en subventions, on peut se demander si le monde n’est pas à l’envers », a-t-il déclaré.
Le marché tunisien, un million de micro-entrepreneurs, est relativement important mais pas très grand, selon Michael p. Cracknell. C’est dans ce cadre qu’il faut surtout éviter de tomber dans le piège du Maroc qui croule, depuis quelques années, sous le poids de la surabondance de l’offre qui s’était soldée par une crise de surendettement qui aurait pu faire couler tout le secteur. Par conséquent, le responsable d’Enda a appelé le gouvernement à soupeser les conséquences de ce genre de politique avant de laisser trop d’IMF s’installer sur un marché plutôt limité. Pour couvrir cette demande, les financements nécessaires peuvent aller jusqu’à 4 300 milliards DT (sur trois ans), selon des estimations faites par Enda. Cela est possible à condition que les opérateurs soient pérennes. Enda, par exemple, est refinancée par une dizaine de banques tunisiennes (Amen Bank, BIAT, BH, ATB, STB, BNA, Ettijari, BTK, UBCI, UIB) et quatre institutions financières internationales (la BEI, la SFI, Oikocredit et bientôt l’AFD, la SIDI et la BERD). Mais, selon Cracknell, ni ces bailleurs, ni les investisseurs, ne s’intéresseront à des opérateurs qui dépendent de subventions de manière chronique. Les IMF se doivent d’afficher des performances exemplaires et surtout des taux de remboursement qui leur permettent la pérennité et la croissance. Dans le secteur de la micro finance, les taux de croissance annuels sont de l’ordre de 20 à 70%, voire davantage, ce qui permet aux IMF de toucher un nombre croissant de micro-entrepreneurs exclus des services financiers.
Khadija Taboubi @ africanmanager.com

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