Pages

dimanche 6 novembre 2011

En 1999, on était 6 milliards. La croissance démographique est angoissante. La planète peut-elle faire face ?

Par Jacques Attali - Paris Match



Rien n’est plus fascinant que les problèmes de population. Rien n’est plus difficile à régler : car l’humanité doit craindre de voir son nombre croître trop vite ; et plus encore de le voir se réduire.
Il y a trente-huit mille ans, l’humanité franchissait le premier million. Quand commence notre ère, il y a encore moins de 300 millions d’êtres humains sur la planète, dont environ 80 dans l’Empire romain, et 50 en Chine. Il faut attendre 1 800 pour atteindre le premier milliard, 1930 pour le deuxième, 1960 pour le troisième. Puis le rythme de croissance de l’humanité se ralentit : il faut attendre 1975 pour atteindre le quatrième milliard, 1987 pour le cinquième. Nous sommes 6 milliards depuis l’an 2000 et, selon les calculs de l’Onu, la population mondiale a dépassé les 7 milliards d’habitants le 31 octobre dernier.
Cette croissance de la population, d’abord très rapide, puis ralentie, s’explique de moins en moins par le nombre d’enfants par femme et de plus en plus par l’allongement de la durée de la vie.
En effet, la natalité est en chute libre : pendant les six dernières décennies, la fertilité moyenne mondiale est passée de 6 enfants par femme à 2,5 (1,7 enfant dans les pays dits « développés », 4,2 dans les pays en développement) ; avec des écarts considérables, puisque les femmes de certaines régions de l’Italie ont moins de 1 enfant en moyenne, alors que celles du Niger en ont plus de 7.
L’espérance de vie, elle, augmente de façon considérable : elle est aujourd’hui, en moyenne planétaire, de 67 ans, contre 31 ans en 1900 et 47 ans en 1950. L’âge médian de l’humanité est de 29 ans et 43 % de la population mondiale ont moins de 25 ans. La réduction du nombre d’enfants par femme est la conséquence naturelle des progrès en matière d’éducation. Tandis que l’augmentation de l’espérance de vie de tous est la conséquence naturelle des progrès en matière de santé. Les deux sont de bonnes nouvelles : les gens vivent mieux, plus longtemps, et leur nombre augmente de moins en moins vite.
Cette population est aujourd’hui très extraordinaire : 50 % vit en ville ; moins de 200 millions de personnes vivent dans un autre pays que celui où elles sont nées. L’humanité consomme chaque année l’équivalent de 2,2 milliards de tonnes de céréales, dont les deux tiers sont consommés par les animaux d’élevage, et 150 millions de tonnes de poissons (dont 90 millions pêchés et 60 millions issus de l’aquaculture). Les terres agricoles reculent et les nappes phréatiques sont détruites ; 77 % des espèces sont surpêchées. L’humanité consommait aussi, en l’an 2000, 10 gigatonnes d’équivalent pétrole (Gtep) d’énergie, soit dix fois plus qu’en 1900. La démocratie s’étend avec l’évolution démographique : il est rare qu’un pays soit durablement démocratique si les femmes y font plus de 3 enfants. Les nations les plus peuplées sont les plus pauvres, et les moins démocratiques ; 1 % de la population de la planète possède près de 20 % de ses richesses ; 30 % de l’humanité survivent en dessous du seuil de pauvreté ; 15 % ne mangent pas à leur faim ; 0,1 % de la population mondiale des plus dépensiers consomme 20,1 % des énergies, tandis que 75 % de la population mondiale des moins dépensiers ne consomment que 27,1 % des énergies.
Si les tendances actuelles se prolongent en 2050, la population mondiale sera de 9 milliards, dont les deux tiers vivront en ville. Elle pourrait même n’être que de 8 milliards et se stabiliser à ce niveau si la baisse de la natalité s’accélérait. Si ce n’est pas le cas, elle pourrait dépasser les 10 milliards d’ici à 2100, voire les 15 milliards, en particulier si les taux de natalité en Afrique, variable clé, baissaient moins que ne l’escomptent les prévisions actuelles.
Selon le scénario le plus probable, en 2050 l’espérance de vie moyenne sur la planète sera de 75 ans ; son âge médian sera de 37,9 ans. L’Inde sera le pays le plus peuplé du monde. La population de l’Afrique, qui atteint aujourd’hui 1 milliard, aura doublé. Il y aura plus de Français que d’Allemands et plus de Turcs que de Russes. Plus de 2 milliards de gens voudront vivre ailleurs que là où ils sont nés. Les deux tiers, soit 6 milliards, vivront en ville.
Plus de 4 milliards de personnes vivront en dessous du seuil de pauvreté. Le centre de gravité démographique restera dans les zones pauvres ; l’actuel déséquilibre des sexes s’aggravera : alors que le ratio naturel de naissances est de 104 à 106 garçons pour 100 filles, ce ratio est, dans des pays comme l’Inde ou le Vietnam, d’environ 112 garçons pour 100 filles, de 120 en Chine, et même de 130 garçons pour 100 filles dans certaines régions. L’Inde et la Chine manqueront chacune de 50 millions de femmes. Cela provoquera l’augmentation de la polyandrie (une femme avec plusieurs époux), du tourisme et de la prédation sexuels.

« EN 2050 NOUS SERONS 9 MILLIARDS IL FAUDRA UNGOUVERNEMENT MONDIAL POUR AFFRONTER CE DÉFI »

Si on continue comme maintenant, dès 2030, le monde devra faire face à un déficit de 40 % entre les demandes et les ressources d’eau disponible.
A la même date, si elle continue à dégrader les sols, à détruire les nappes phréatiques, l’agriculture ne pourra pas produire les 2,8 milliards de tonnes d’équivalent céréales nécessaires et les ressources halieutiques seront insuffisantes pour produire les 200 millions de tonnes de poissons nécessaires à la consommation mondiale. Elle ne pourra pas non plus satisfaire la demande d’énergie, qui sera multipliée par trois, sinon par cinq, soit 50 Gtep.Il est donc clair que, sans des changements drastiques, l’humanité ne pourra pas faire vivre décemment 9 milliards de personnes en 2050. Peut-être même pas 8 en 2030. Et encore moins 15.
Mais, à l’inverse, si la natalité baisse brutalement, la ­situation peut devenir catastrophique. De fait, dans les ­nations où elle a déjà eu lieu (comme en Italie, en Allemagne, au Japon, en Corée, aux Pays-Bas, en Russie), cela alourdit les dépenses de santé, rend plus difficile le financement des ­retraites, et exige une immigration de masse pour occuper les emplois vacants. Pour certains pays, cela peut être un choix conscient, conséquence de comportements égoïstes et narcissiques, sans regard sur le long terme : être moins nombreux pour être moins entassés. Et faire travailler des robots pour ne pas avoir d’étrangers. Ces pays sont plus inquiets des risques d’encombrement que de la réduction du nombre de contribuables. Mais, en général, les gens sont plutôt désireux de voir se réduire la population globale du monde, plutôt que celle de leur pays ou de leur communauté. Aux Pays-Bas, par exemple, la majorité du pays est en faveur du déclin de la population, mais pas pour le déclin de celle de leur ville.
Comment penser alors l’avenir ? Il faut donc, d’abord, ­éviter d’en venir à 15 milliards. Et pour cela, les progrès en Afrique de l’éducation et de l’autonomie des femmes seront fondamentaux.
Il faut ensuite rendre possible de faire vivre ensemble 9 à 10 milliards de personnes. Il est en effet tout à fait possible de doubler la production alimentaire mondiale et de ­réduire massivement la demande d’énergie, tout en réduisant les impacts environnementaux de la production. Il faut pour cela repenser profondément notre modèle de développement, lutter contre tous les gaspillages, et appliquer les réformes suivantes, énoncées par bien des rapports et, en particulier, par le dernier en date, d’une équipe internationale de chercheurs, publié le mercredi 12 octobre dans la revue scientifique « Nature ».
1. Améliorer les rendements agricoles dans de nombreuses régions d’Afrique, en Amérique latine et en Europe de l’Est, en choisissant des variétés de cultures plus résistantes et mieux adaptées à l’écosystème local et en investissant dans des équipements plus performants.
2. Faire plus confiance aux petits paysans qu’aux grandes exploitations, en faisant respecter le droit de propriété du sol, par leur regroupement coopératif, en réduisant la taille des propriétés, et en les poussant à développer des cultures ­vivrières plutôt qu’exportatrices.
3. Développer l’aquaculture et instaurer des quotas – sur le modèle de la politique commune de l’UE en matière de pêche – à l’échelle de l’Atlantique Nord ou de la Méditerranée, par exemple en formant les pêcheurs, en adoptant une meilleure gestion.
4. Optimiser les apports aux cultures par une meilleure utilisation de l’eau, de nutriments et de produits chimiques, une amélioration génétique et un usage raisonnable des biotechnologies les mieux assurées.
5. Privilégier la consommation humaine directe des végétaux, en réduisant les cultures destinées à nourrir le bétail ou à produire des agrocarburants, ce qui implique de réduire considérablement notre consommation de viande : à terme, nous serons sans doute tous végétariens.
6. Réduire le gaspillage et les pertes de production mal gérée. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), entre 30 et 60 % de la nourriture produite par l’agriculture sont gaspillés sur les lieux de production ou perdus dans le transport et le stockage.
7. Enrayer l’expansion des terres agricoles aux dépens des forêts, en particulier tropicales, par des incitations financières poussant à préserver les arbres.
8. Constituer des réserves alimentaires de long terme, afin de contrecarrer la volatilité des prix des denrées alimentaires et de permettre aux paysans d’investir sans craindre des pertes liées aux évolutions des cours.
9. Modifier radicalement la structure de l’énergie nécessaire, pour se contenter en 2050 de 28,5 Gtep contre les 10 Gtep de l’an 2000 : le monde développé devrait réduire sa consommation de 40 %, tandis que les pays émergents seraient incités à connaître un développement plus sobre que celui connu dans le passé par les pays développés.
10. Un développement volontariste des énergies renouvelables : l’énergie éolienne passerait de 0,03 Tep (tonnes d’équivalent pétrole) en 2010 à 3 Gtep en 2050, ce qui exige la construction de 4 millions d’éoliennes géantes. Le solaire passerait à 3 Gtep contre presque rien aujourd’hui ; l’hydroélectrique serait multiplié par 20 ; la géothermie et les nouvelles énergies de la mer pourraient atteindre 3,5 Gtep, et la biomasse 4 Gtep. Dans le même temps, les énergies fossiles ne passeraient que de 8 à 12 Gtep. Le nucléaire continuerait de se développer, mais modérément, vers un niveau de 3 Gtep, équivalant à l’éolien et au solaire.
Il serait alors possible de réduire la pauvreté (en particulier par la microfinance), de trouver un meilleur équilibre entre populations rurales et urbaines, de généraliser la ­démocratie. Cette révolution est nécessaire. Elle est à notre portée, ­politiquement et financièrement. Si elle est bien conduite, elle peut faire du monde le ­jardin dont, depuis l’aube des temps, rêve l’humanité. Elle suppose naturellement une véritable conduite mondiale de cette transition. Un véritable gouvernement des affaires du monde. Il faudra pour cela beaucoup plus qu’un G20.
 
Jacques Attali est écrivain et président de PlaNet Finance.Point final

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire